Essais de réponse de Erri De Luca
Titre: Essais de réponse
Auteur: Erri De Luca
Catégorie: Littérature-critique et histoire littéraires
Editions: Arcades Gallimard
ISBN: 2-07-076741-8
75 pages
J'aurai vu le titre de cet ouvrage quelque chose comme: "Traité philosophique" ou "Recueil de pensées".
En effet, cet ouvrage hors pair nous offre, sous forme d'exposé, la vision profonde d'un écrivain philosophe sur les divers aspects de son existence.
Que de belles allégories. Les mots tous ensemble, donnent toute leur splendeur à ces si jolies phrases.
En voici quelques extraits pour vous en constater de vous-même:
Introduction
Les questions sont la ronde d'un manège, elles attendent les clients enfants pour un tour sur le cheval à bascule, la petite voiture ou la fusée. Les questions sont plus belles que les réponses, elles durent plus longtemps, elles tournent encore et me donnent toujours envie de faire un autre tour, de donner une deuxième réponse. Mais elles s'en vont toujours, les belles questions, elles ne se laissent plus rattraper.
VOIX
J'écris pour remonter au cœur général qui ne me connaît pas et qui a pourtant ramifié de la vie jusqu'à moi.
Pour celui qui écrit, les voix sont comme les visions pour un saint. Elles sont loin du rêve, elles sont veille, accueil, rencontre, et non pas abandon, réconfort, représentation. Elles viennent d'un avant et ne sont adressées à personne. Elles sont le résidu des histoires, des récits qui ont diverti les communautés après le coucher du soleil, soir après soir. Elles sont la cour du temps. Tout de nous devient poussière.
LES LIVRES
Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids dans les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient avec eux pendant un moment, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l'hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n'importe où sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère.
Écrire me permet une intimité avec le monde des autres, celui qui se trouve derrière l'écorce des visages que je vois. Quand je sais qu'une de mes pages a été accueillie avec intensité par une personne, il me semble que les traces légères qu'un homme laisse sur le sol peuvent devenir un sentier pour qu'un autre les foule avec amour.
Les livres ne possèdent pas de public, mais ils possèdent une personne seulement, ils possèdent non pas le vaste monde de la lecture, mais exactement et seulement un seul lecteur. J'offre à cette personne qui est en train de lire en ce moment l'appel d'un complice, j'essaie de l'obliger à être témoin de ce qui est en train de se passer ou qui s'est passé ;je veux la déplacer de là où elle est, je veux la faire venir avec moi, même si cela ne coincide qu'avec un seul mot; même si ce n'est qu'avec un seul mot dans cette centaine de pages, ce mot-là suffit pour que nous ayons été ensemble en lui.
À la question: - pour qui écris-tu ? -je sais répondre: pour les personnes qui me sont chères, certaines déjà mortes, j'écris devant elles, je traduis en histoires mon affection et ma peine. Je n'écris pas pour que mes pages soient lues par mes descendants - qui les connaît ? - mais pour qu'elles soient comprises, aimées aussi, par mes prédécesseurs, par mon père qui ne pouvait pas les lire et qui les écoutait les yeux fermés.
VISIONS
La vision - celui qui en a eu le sait - va vite et raconte de nouveau la vie suivant une sténographie essentielle. La vision est la forme de connaissance qui existait avant que ce siècle croie plus scientifique de s'occuper des rêves. J'imagine ainsi la différence entre la vision et le rêve: la première révèle le contenu d'une personne, le second révèle le contenu de sa poubelle.
HEURTS
Je n'ai aucune expérience mentale des choses. Ce n'est que lorsque les choses se sont bien stratifiées à l'intérieur de mon corps, qu'elles sont devenues une sorte de cal, que je m'en aperçois et que je dis : « Tiens ! Regarde ce que j'apprends de ma chair ! » Il m'a manqué une manière de tirer expérience de l'étude, des pensées, peut-être parce que je n'ai pas su étudier. Les pensées ne m'ont jamais rien enseigné, pas même celles des autres ; je crois quelqu'un si je crois au ton de sa voix, quoi qu'il dise, il suffit qu'il réponde à mon acoustique. Et si quelqu'un dit la même chose que moi, mais avec une voix qui sonne faux, je ne le crois pas ou simplement je ne l'entends pas. Ainsi, au fil du temps, je suis devenu une sorte de capteur, une sorte de vilain petit animal qui apprend des choses qu'il touche et qu'il voit. Je me suis souvent rendu en Bosnie au cours de ces dernières années de guerre ; je n'aurais rien compris si je n'y étais pas allé.
Leurs mains en grappes, touchées au vol, étaient le sel magnifique de l'hospitalité. Notre chargement distribué était seulement un prétexte pour arriver vers ces mains ouvertes. Je n'ai pas saisi des mots de cette langue, seulement des mains. Celles des vieux, décharnées, désespérées d'être encore vivantes, alors qu'étaient mortes celles de leurs fils, mutilées celles de leurs petits-fils ; des mains de veuves qui voulaient ressembler à celles des hommes perdus et qui serraient les nôtres avec brusquerie ; des mains de soldats de la si pauvre armija ; des mains de gens qui avaient fui en quittant tout en une nuit, des mains nues qui voulaient être serrées sur le coeur ; des mains de qui savait seulement écrire ; des mains de prières qui ne savaient plus à qui s'adresser et qui avaient laissé tomber tous les livres, Dieu aussi.
FIN DE CITATION
De la même façon qu'Obélix était tombé tout petit dans un goudron d'élixir magique, Erri De Luca s'était enfermé dans sa jeunesse dans une chambre remplie de bouquins au point de consacrer tout son passe-temps à la lecture.
Il n'y a donc pas de quoi à être surpris de voir toute cette substantifique moëlle sortir du bout de sa plume magique !
Je m'émerveille devant le poids de chaque mot. Je déguste la douce saveur de certaines expressions. Le vocabulaire d'Erri De Luca est si riche de symbôles et de sens, pour pouvoir exprimer à l'infini le flux de ses pensées.
Il y a beaucoup de verve dans son style.
Et puis pour les amoureux de lecture: tout un chapitre est consacré au thème du livre. L'auteur y présente son point de vue philosophique au sujet des livres, de ce qu'ils représentent pour lui et de leurs valeurs symboliques et culturelles.
Petit fascicule facile à lire. Les épisodes sont indépendants les uns des autres. On peut zapper un chapitre s'il ne nous plaît pas.
Je recommande cet ouvrage aux amateurs de belle poésie et aux écrivains et poètes.
Ma notation: 10/10.
Biographie
Erri De Luca est né à Naples en 1950 et vit aujourd'hui à la campagne près de Rome.
Aux Editions Gallimard ont paru avec grand succès les romans Trois chevaux (2001) et Montedidio (2002, prix Femina Etranger) ainsi que le recueil de nouvelles Le contraire de un (2004) et le volume d'essais intitulé Noyau d'olive (2004).
PS:
J'offre ce livre en bookring à tout personne qui m'en fait la demande via mon emel.
Pour suivre son parcours, cf. Mon bookshelf.
Libellés : d, Erri De Luca, Litterature
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