samedi, mai 07, 2005

Une prière pour Owen de John Irving


Titre: Une prière pour Owen
Auteur: John Irving
Catégorie: Roman
Editions: Seuil
ISBN: 2020107120
Nombre de pages: 664



C'est mon premier Irving. Je l'ai découvert par hasard, à l'époque où je fréquentais régulièrement les bibliothèques municipales de Genève pour trouver des joyaux de lecture. Un jour j'ai rencontré un collègue de travail dans une bibliothèque en train de feuilleter ce livre. Curieux comme je suis, j'ai pris un double exemplaire à côté, l'ai feuilleté moi aussi, puis l'ai emprunté.

Voilà pour la petite histoire de ma rencontre avec John Irving.

Ensuite, dans la lancée de mes lectures, j'ai voulu découvrir plus cet auteur, ce qui m'avait fait découvrir le Monde selon Garp.

Je ne sais pas si c'est psychologique, mais je suis amoureux de ce roman plus que l'autre car je l'avais découvert en premier, et c'est ainsi.

Une des premières raisons est qu'il revêt un aspect émotionnel plus marqué.

Il s'agit de l'histoire d'un garçon, Owen Meany, copain de John, l'être le plus petit qu'il n'a jamais rencontré.

Collégien, Owen Meany, au cours d'un match, avait percuté la tempe de la mère de John avec sa balle de batte et l'avait tué ! Une mort instantanée. Ainsi sa fameuse balle de blatte était entrée dans l'histoire de leurs vies.

Owen, envahissant, voudrait tout connaître de la famille de son ami, y compris ses cousins:
- TU POURRAIS ME LES PRESENTER CHEZ TOI, QUAND ILS VIENDRONT POUR THANKSGIVING, suggéra-t-il. C'EST DROLE QUE TU NE M'INVITES JAMAIS QUAND ILS SONT LA.

A eux ils vécurent des histoires d'enfance vraiment hilarantes.

On peut citer le passage sur le choix de l'Eglise rempli d'intérêts théologiques. Des paraphrases non dénudés de bon sens:
Bizarrement, loin de tout combat idéologique, l'union de Dan et de ma mère fut l'objet d'une double approbation; congrégationalistes et épiscopaliens faisant la cour à Dan et à ma mère pour les attirer au sein de leur Église !
Ce qui rendait Mr. Merrill mille fois plus attachant, c'est qu'il était bourré de doute; c'est notre doute à nous qu'il exprimait avec une sympathique éloquence. Considérée avec sa lucidité convaincante, la Bible est un livre au récit troublant, mais un récit compréhensible: Dieu nous crée par amour, mais nous ne voulons pas de Dieu, ou nous ne croyons pas en Lui, ou nous ne lui prêtons qu'une attention distraite. Néanmoins, Dieu persiste à nous aimer, au-delà du possible, et continue à vouloir éveiller notre intérêt. Le pasteur Merrill faisait apparaître la religion comme raisonnable. Et dans la foi, disait-il, le tour consiste à croire en Dieu sans tout attendre de Lui.
Bien qu'il connût les meilleurs épisodes de la Bible, ou les moins ennuyeux, Mr. Merrill avait le don de nous faire comprendre que le doute est l'essence même de la foi, et non son contraire.

Quand on arrive au fameux chapître consacré à "LA VOIX", le lecteur commence enfin à comprendre pourquoi dans tout le roman les paroles d'Owen sont toujours imprimées en caractères majuscules:
"PARCE QUE CA ATTIRERA TOUT DE SUITE L'ATTENTION DU LECTEUR."

Rédacteur de "La Voix", journal du collège, les articles de notre héros regorgent de polémiques.

A propos d'un élève qui fut renvoyé pour avoir tué des chats et que les autres furent prompts à le juger cinglé, Owen écrivait:
« QUI SOMMES-NOUS POUR JUGER AUTRUI ? J'AI ASSASSINÉ DES CRAPAUDS ET DES TÊTARDS - J'AI ACCOMPLI LE GÉNOCIDE DE CRÉATURES INNOCENTES ! » Il décrivait, sans fard mais avec regret, ses massacres; bien qu'il confessât sur sa lancée son petit vandalisme sur la statue de Marie-Madeleine, je souris, voyant qu'il ne présentait aucune excuse aux nonnes de Saint Michael; il ne s'excusait qu'auprès des têtards et des crapauds.

Au sujet d'un autre élève qui fut renvoyé pour avoir bu de l'alcool, on lisait dans ce journal:
Owen affirma que boire en solitaire était moins répréhensible qu'inciter les autres à boire, et que, de plus, certaines façons de boire étaient « MOINS DESTRUCTRICES QUE LE HARCÈLEMENT CONTINUEL DES ÉLÈVES QUI NE SONT PAS "COOL" PAR CEUX QUI CROIENT QUE C'EST "COOL" DE SE MONTRER GROSSIER ET BRUTAL, TANT VERBALEMENT QUE PHYSIQUEMENT. LES BRIMADES CRUELLES ET DÉLIBÉRÉES CAUSENT PLUS DE DÉGÂTS QUE L'ALCOOL. LES ÉTUDIANTS QUI TOURMENTENT ET MOLESTENT LEURS CONDISCIPLES PLUS FAIBLES SONT COUPABLES D'UN CRIME BIEN PLUS GRAVE QU'UNE CUITE, EN PARTICULIER QUAND CETTE CUITE NE FAIT DE MAL QU'À SOI-MÊME ».

Il utilise aussi ce journal comme moyen pour se rebeller contre les injustices commises par les autorités du collège. A ce titre, l'anecdote de la coccinelle du docteur Dolder, un zurichois qu'Owen considère comme con et soulard. Un jour il a fait déplacée cette coccinelle sur la scène de la Grande Salle du bâtiment principal de son collège, sans une seule égratignure. Toute cette mascarade parce que le Docteur la parquait sur l'allée circulaire et empêchait la semi-remorque d'Owen de passer. Anecdote qui mettait en dérision tout le corps professoral et qui finit de la façon suivante:
Dans la première séance qui suivit la destruction de la Coccinelle, le Dr Dolder attaqua Owen par ces mots:
"Je sais que vous me haïssez, oui ? Mais pourquoi me haïssez-vous ?
- JE DETESTE ETRE OBLIGE DE VOUS VOIR, MAIS JE NE VOUS DETESTE PAS. PERSONNE NE VOUS HAIT, DOCTEUR !"
"Et qu'a-t-il répondu à cela ? demandai-je à Owen Meany.
- IL EST RESTE SILENCIEUX UN BON MOMENT - JE CROIS QU'IL PLEURAIT.

La dernière partie du livre aborde l'engagement du gouvernement américain au Viêt-Nam. Pour avoir une bourse d'études Owen s'engagea dans l'armée. Et vous l'aviez deviné, voila la fin qui arrive, une si triste fin.

Très émouvant.

Il y a une prière que je dis essentiellement pour Owen. Une des petites prières qu'il avait dites pour ma mère, la nuit où Hester et moi nous l'avions trouvé dans le cimetière; il avait apporté sa torche électrique, sachant que ma mère avait horreur du noir.
« "QUE LES ARCHANGES TE CONDUISENT AU PARADIS" », avait-il dit sur la tombe de ma mère; c'est cette prière que je prononce à son intention; je sais qu'il l'aimait bien. Je dis toujours des prières pour Owen Meany.

Cette lecture est ma deuxième de cet immémorable ouvrage. Je peux vous assurer que même en le relisant une troisième, voire une quatrième fois, mes prochaines notes de lecture ne seront pas forcément les mêmes, avec les mêmes ingrédients. Je découvre de nouveaux éléments à chaque fois. On parie pour d'ici une année ?

Irving est-il un visionnaire ? En regardant ce qui se passe actuellement en Irak, il y a quand même beaucoup de similitudes avec ce qui s'était passé au Viêt-Nam. Quoique les hommes au pouvoir ont changé mais la mentalité reste la même, jusqu'au déclin de l'Empire américain. L'histoire nous dira si j'ai raison ou pas:
Que savent les Américains de la moralité ? Ils n'admettent pas que leurs présidents aient des pénis, mais se moquent que leurs présidents se débrouillent pour soutenir en secret les rebelles du Nicaragua, malgré l'opposition du Congrès ; ils refusent que les présidents trompent leurs épouses, mais s'en fichent si leurs présidents trompent le Congrès, mentent au peuple et violent la Constitution du peuple !
Oh, quel pays de moralistes est l'Amérique ! Avec quelle délectation les Américains exposent en pleine lumière leurs turpitudes sexuelles ! Dommage qu'ils n'appliquent pas cette règle de moralité à leur président quand il se met hors la loi ; dommage qu'ils ne mettent pas un zèle équivalent à purger une administration qui fournit des armes aux terroristes. Mais, bien sûr, le moralisme du plumard nécessite moins d'imagination et surtout moins d'effort que la surveillance de la politique internationale...

Ma notation: 10/10


La genèse de son ouvrage par John Irving:


Les années soixante ont marqué le début de la détérioration morale de l'Empire américain; l'échec des libéraux pour endiguer le développement d'une aile droite antidémocrate aux Etats-Unis; la division du peuple américain, qui persiste à l'heure actuelle quant à la crédibilité qu'on peut accorder à l'état-major présidentiel; la désaffection de la jeunesse pour le Gouvernement – à commencer par ces hommes dont la jeunesse a vécu les années-Vietnam (la fameuse génération Vietnam), y compris les actuels moins de trente ans, ces derniers se désintéressant totalement de l'activité politique, et considérant avec cynisme tout politicien.
Tel était l'arrière-plan du roman: un regard sur les années soixante, qui jugerait la période sans complaisance. Deux jeunes garçons grandissent pendant les années-Vietnam; ils perdent leur innocence au moment où le pays perd la sienne dans les duperies et les polémiques de la guerre; l'un deux finira en héros décoré (et en victime de la guerre), et l'autre – son meilleur ami et témoin – deviendra un anti-américain en colère, exilé au Canada. Une prière pour Owen est une prière pour les Etats-Unis, au sens où Owen incarne le grand idéaliste américain qui nous a quittés, qui n'existe plus.

Mais l'arrière-plan social et politique d'un roman est toujours moins important pour moi que l'histoire elle-même, et ses principaux protagonistes. Mes romans n'entendent pas convaincre le lecteur à la manière d'un plaidoyer; je n'essaie pas de vous démontrer la justesse de mes idées. Non; si mes romans doivent vous convaincre, c'est sur le plan de l'émotion, par sympathie ou affection pour mes héros; c'est l'histoire elle-même qui doit vous inciter à la lire, afin d'en connaître la suite.

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je l'ai découvert par le biais d'une amie qui s'est passionnée par cet auteur et j'ai commencé et fini par 'Le monde selon Garp'. J'ai tenté de continuer avec 'L'hôtel New Hamsphire' mais j'ai vite compris que ce genre de lecture n'était pas pour moi. Je n'ai jamais réïtéré l'aventure !

lundi, juin 11, 2007 12:08:00 PM  
Blogger Lancelot said...

@Anjelica
Je n'ai pas lu "L'hôtel New Hampshire" mais j'adore John Irving et tous ses romans que j'ai lu jusqu'à maintenant. Merci pour ta visite tant appréciée.

lundi, juin 11, 2007 2:14:00 PM  

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